Rencontre avec Tarek Nahas, Collectionneur

Rencontre avec Tarek Nahas, Collectionneur 

« Je veux que ma collection reste une collection privée »
 


D’où vient votre goût pour la photographie ?


Comme toute ma génération j’ai grandi avec des images. Nos enfants, eux, ont un rapport quasi organique avec les images en mouvement.
La photographie est aussi accessible pour nous que la vidéo l’est pour eux. C’est donc un goût naturel, sûrement pas construit. Je dirais de plus que la photographie est un goût partagé par mon épouse et moi et que collectionner est très vite devenu un projet de couple. On choisit ensemble et je n’achèterais jamais une œuvre si elle ne l’apprécie pas autant que moi.
Mes parents n’étaient pas collectionneurs même s’il y avait des œuvres d’art à la maison, principalement des peintures d’artistes libanais. Collectionner ne relève donc pas d’une tradition familiale mais d’une inclination personnelle, naturelle et partagée.


Qu’est ce qu’une bonne photographie pour vous ?


C’est difficile de répondre. Je dirais en toute simplicité que mon épouse et moi allons vers ce qui nous plaît et ce qui nous émeut. Il y a des œuvres avec qui le contact émotionnel est immédiat. D’autres demandent à être d’abord approchées intellectuellement pour provoquer des sentiments. C’est par exemple le cas de Walead Beshty : pour apprécier ses monochromes transparents il faut appréhender leur processus de création. Les œuvres de Wolfgang Tillmans allient plasticité et dimension conceptuelle ce qui les rend plus directement accessibles.


Comment définiriez-vous votre collection ?


Ma collection reflète des choix précis et affirmés qui s’inscrivent surtout dans le champ de la photographie contemporaine plasticienne et conceptuelle et aussi « mise en scène » et « cinétique ».


Comment vous êtes-vous formé à l’art contemporain et qui plus est à la photographie ?


Seul et progressivement. Il s’agit d’une démarche éminemment personnelle. J’ai choisi d’éduquer mon regard et je n’ai de cesse de le faire. Je lis tout ce qui est à ma portée et a trait à la photographie et plus généralement à l’art contemporain. J’achète des livres monographiques, je lis les critiques des journaux - The New York Times, The Guardian - et tous les magazines qui comptent, comme par exemple Art Review et Frieze. Et puis je vais dans les foires, celles que j’ai choisies. Au début je ne fréquentais ni les ventes ni les foires mais je suis rapidement devenu un régulier de “Paris Photo” et je viens de rentrer de la Fiac.


“Eduquez votre regard” : serait-ce votre conseil à des collectionneurs débutants ?


Absolument. Il faut tout le temps ouvrir les yeux, voir, lire, écouter, c’est comme ça qu’on apprend sinon on reste attiré par ce qui est plastiquement joli, par des œuvres directement accessibles, le “easy eye”. Il faut se donner le temps de dépasser le premier regard et voir à la fois plus net et loin. J’ajouterais qu’il faut aller dans le sens de sa sensibilité et ne pas donner trop d’attention à ce que les autres pensent. Une collection est avant tout un parcours singulier guidé par la sensibilité du collectionneur.


Etes-vous accompagné par des professionnels pour effectuer vos choix ?


Je suis bien sûr en contact constant avec des galeristes mais c’est toujours moi qui suis venu vers eux pour commencer. Je procède comme ça : je vois une œuvre qui me plaît et elle me guide jusqu’au galeriste.
J’apprécie beaucoup le contact avec les galeries. Elles recherchent les meilleures œuvres pour leurs clients et peuvent même jouer les intermédiaires entre collectionneurs quand l’un d’eux choisit par exemple de se séparer d’une pièce qui n’est plus cohérente avec son projet de collection.
Je ne souhaite pas recourir à un consultant ou même à un assistant qui serait chargé de faire des recherches documentaires pour moi ou de me signaler que tel artiste émergent, représenté par telle galerie à New York est à acquérir absolument. Ce n’est pas du tout ma démarche. Du coup, je rate peut-être certains circuits et passe sûrement à côté d’artistes mais au fond ce n’est pas grave et d’ailleurs, sans vouloir paraître arrogant, les artistes émergents sur qui tout le monde mise, disparaissent souvent et très vite.
Je suis aujourd’hui membre du comité d’acquisitions du Centre Pompidou, section Moyen-Orient. L’approche est bien sûr très différente puisqu’il s’agit de constituer des collections publiques. Les échanges entre conservateurs et collectionneurs sont très instructifs et complémentaires. Je suis donc accompagné et j’accompagne à mon tour.


Quelle a été votre première acquisition ?


Ma femme et moi avons acheté notre première photographie à New York, chez Staley Wise, galerie de Soho spécialisée dans la photographie de mode. C’était une œuvre connue, un tirage argentique de Marylin par Bert Stern de la série emblématique “The Last Sitting” qui avait fait la couverture de Vogue. Je m’en souviens très clairement. En revanche je n’ai aucun souvenir de notre deuxième acquisition.


Vous disiez que vous reveniez de la Fiac, y avez-vous acquis une œuvre ?


Oui, mais je ne veux pas en parler tant qu’elle n’est pas chez moi. Cela fait deux ans que je suis régulièrement en contact avec le travail de cette artiste et c’est une œuvre qui s’imposait. Elle permet d’établir le lien entre différents cadres photographiques de la collection.


Pourriez-vous revenir sur les étapes de constitution de votre collection ?


Maintenant que notre collection a pris de l’importance je dirais que la notion d’“orientation” a pris le dessus sur les coups de cœur. Je m’explique : nous avons constitué un premier fonds qui réunissait des pièces “coups de foudre”. Des thématiques sont apparues les regroupant par ensembles même s’il reste toujours un contingent d’œuvres qui résistent à toute classification. Nous cherchons à présent à consolider la collection en la “fortifiant” je dirais. J’entends compléter des ensembles – artistes, mouvements, aires géographiques ou époques – par l’acquisition d’œuvres. Je devrais aussi le cas échéant faire sortir des pièces qui ne font plus sens dans la collection.


Quels sont les artistes de la région qui comptent le plus pour vous dans le domaine de la photographie ?


A vrai dire il n’y en a pas tant que ça dans le champ de la photographie. Prenons l’exemple du Liban. Un mouvement documentaire revisité a vu le jour dans les années 1990 utilisant la photographie comme support. Ses principales figures sont Akram Zaatari et Walid Raad. Au sein de la génération suivante Ziad Antar se situe dans la même mouvance.
Par ailleurs, il y a aujourd’hui une génération d’artistes femmes qui a choisi de s’exprimer à travers la photographie. Caroline Tabet, Lamia Joreige, Tanya Traboulsi à la Galerie Art Factum ou Rania Matar chez Janine Rubeiz. Peut-être faudrait-il d’avantage promouvoir ces artistes en les emmenant dans des foires ou en résidence. Jusqu’à quel point les galeristes ici peuvent-ils les soutenir ? Il y a évidemment une question de moyens financiers et de réseaux. La question se pose : qu’est-ce qui va rester finalement de ces expressions si ce travail n’est pas fait ?
On vit au sein de microcosmes au Liban. Il est important que les artistes sortent de ses frontières et se confrontent aux autres artistes de la scène internationale. Ces rencontres sont difficiles ici et plus généralement dans la région même s’il s’avère que les choses bougent, comme en témoignent les récentes initiatives publiques et privées à Beyrouth.


Est-ce d’importance selon vous d’acquérir des œuvres issues de créateurs du Maghreb/Machrek ? Est-ce un critère d’approche pour vous ?


Absolument pas. Dans la dernière salle de l’exposition “Open Rhapsody” au Beirut Exhibition Center, Jean-Luc Monterosso et moi avons choisi de façon extrêmement didactique de réunir des images de l’Ecole de Düsseldorf, de Thomas Struth et de photographes libanais comme Walid Raad, Fouad Elkoury ou Ziad Antar pour justement indiquer qu’il n’y a pas de frontières dans l’art. Quand on est en présence d’un bon artiste il n’est pas important de savoir d’où il vient.


Vous avez eu l’initiative de réunir dans le cadre de cette exposition des œuvres issues de collections privées libanaises. Que représente pour vous l’ouverture au public d’une collection ? Cette pratique est-elle une nécessité pour vous ?


J’avais envie d’initier le public - en commençant par mes proches - à l’image. Il me paraissait aussi important de faire un point sur la présence physique de la photographie ici, au Liban, en cherchant à identifier puis à montrer ce que les collectionneurs libanais avaient acquis pour leur collection et décidés de placer dans leurs maisons. C’est important parce que cette démarche enrichit la culture au Liban.
Il y avait beaucoup plus de photographies que ce que je pensais et finalement peu de photographies d’artistes libanais. Demander au directeur de la Maison Européenne de la Photographie (MEP) de diriger cet état des lieux répondait au besoin d’inscrire l’exposition dans un cadre de références, de valider des choix, d’établir un dialogue entre le privé et le public et surtout de faire vivre ces photos sur place et par delà nos frontières.


Quelle est la collection de photographie que vous admirez le plus ?


L’extraordinaire collection d’Artur Walther. Sans hésitation. Ses choix ont toujours été extrêmement rigoureux, cohérents. C’est une collection exemplaire. Il est parvenu à constituer des séries entières d’artistes :
Karl Blossfeldt, August Sander, les Becher mais aussi Avedon, Araki, Zhang Huan. Je sais que les chiffres ne veulent pas dire grand chose – je ne réponds d’ailleurs jamais aux journalistes qui me demandent combien j’ai de pièces dans ma collection  - mais il se trouve que la sienne réunit autour de 4000 images. Je pense que c’est la plus grande collection de photographies au monde, au moins une des plus vastes. Elle constitue notamment un fonds de photographies africaines d’une richesse inouïe avec des séries de Seydou Keïta, Santu Mofokeng ou Zanele Muholi.
Vous allez bientôt à Paris ? La Maison Rouge expose à l’heure actuelle une partie de sa collection. C’est vraiment un modèle pour moi.


Bon nombre de collections sont en cours d’institutionnalisation au Liban. Est-ce la trajectoire que votre collection se destine à rejoindre à moyen terme ?


Non. Je ne veux pas faire de fondation, ni de musée. Je veux que ma collection reste une collection privée sans quoi je devrais changer ma démarche du tout au tout et commencer à acquérir des musts. Je veux me tenir à l’écart de toute spéculation. Mon envie est de réunir des œuvres qui résonnent entre elles et j’aime les rechercher une à une, à mon rythme - 7 à 8 pièces par an, pas plus - et surtout pas au rythme imposé par une institution. Je veux aussi avoir la liberté de me séparer de certaines pièces, mêmes majeures, si elles n’ont plus d’échos ou de portée au sein de l’ensemble que j’ai dessiné.




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