Le métier de curateur au cœur des pratiques artistiques …
Le Métier de Curateur au Cœur des Pratiques Artistiques …
Lorsque les éditeurs d’Artscoops m’ont demandé d’écrire ces quelques mots autour de mon futur métier de curateur c’est parce qu’au Moyen-Orient, Il n’existe qu’une seule formation universitaire aux métiers de l’art : le Master professionnel en critique d’art et curatoriat crée et dirigé depuis 2010 par le chef du département de lettres française de l’Université Saint Joseph, Mme Nayla Tamraz.
Master en deux années, il a pour objectif d’amener des professionnels issus de formations académiques et professionnelles différentes à réinvestir leurs spécialités dans le monde de l’art. Il conjugue pour cela deux approches complémentaires ancrées dans le contexte artistique contemporain : la première repose sur des enseignements théoriques à l’instar de la sociologie de l’art, la théorie et l’histoire de l’art. La seconde, une approche professionnalisante, consiste en un réinvestissement des apprentissages fondamentaux dans un travail de terrain. Le Master, enrichit sa vision et structure sa démarche en développant des partenariats avec des universités européennes de renom notamment avec Paris III et Paris I dans une volonté de former des spécialistes dans l’art de la région ainsi que des professionnels du secteur artistique et culturel pour le Liban et le Moyen-Orient.
L’idée du master est née d’un constat : le paysage artistique libanais voit aujourd’hui un développement important de pratiques artistiques contemporaines, un bouillonnement sans précédent qui suscite l’intérêt du marché occidental de l’art, des manifestations artistiques internationales et des musées occidentaux. Cette dynamique s’accompagne par ailleurs d’un développement des lieux d’exposition et d’espaces consacrés aux arts visuels. C’est ce contexte artistique particulier qui souligne la nécessité de former des spécialistes des curateurs. Ce métier à la croisée, nécessairement, de plusieurs disciplines est au cœur du processus artistique. Il a en effet pour objectif de conjuguer la compréhension du public, voire des publics, celle de l’art ainsi que de son objet.
Car s’il est vrai que les pratiques artistiques contemporaines sont enracinées dans une réalité à laquelle elles réagissent et invitent à réagir, l’art contemporain fait référence à une constellation d’individualités produisant une infinité de codes et de formes d’art.
Cette extrême élasticité de ce qui entre dans le domaine de l’art contemporain et qui fait dire à Paul Ardenne, critique d’art et muséologue français, que « L’art, c’est beaucoup de choses, tellement, en vérité, qu’on ne saurait plus dire exactement quoi [1]», risque de laisser perplexe un public non spécialisé.
Aussi, dans son essai datant de 1938, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin distingue la valeur Culturelle ou « cultuelle » d’une œuvre d’art, de sa valeur d’exposition. Alors que la première est inhérente à l’œuvre d’art, la seconde dépend de son medium de monstration. L’exposition a donc la capacité de jouer le rôle de médiateur entre l’œuvre et le public. Dans son analyse du pouvoir de l’expographie, Herbert Bayer désignera même la discipline « comme un sommet parmi tous les médias et les pouvoirs de communication », capable d’enclencher un rapport entre réel et pensée, individu et collectivité.
Le curateur est dans ce sens celui qui donne accès à l’art, tant sur le plan pratique que sur le plan théorique. Son métier est au cœur des pratiques discursives liées à la monstration des œuvres d’art : de la production du concept et de la problématique d’une exposition en passant par sa mise en place, l’élaboration d’une démarche muséographique, le choix des artistes et des œuvres jusqu’au plan de médiation qui oriente et rend accessible au plus grand nombre la réception des œuvres exposées.
La fonction curatoriale est en cela tentaculaire, et si elle exige du curateur une certaine expertise dans l’histoire, la théorie et la forme ou les formes d’art qu’il diffuse, elle l’amène par ailleurs à élaborer et diriger des équipes de professionnels de disciplines reliées aux métiers de l’art qui l’aident à :
- Élaborer et gérer des budgets ;
- Rechercher des financements ;
- Concevoir et réaliser des stratégies de communication et des plans de médiation avec les publics ;
- Programmer des évènements satellites qui accompagnent l’exposition et lui donnent un maximum de visibilité ;
- Gerer les prêts d’œuvres, leur transport, leur assurance, leur préservation et leur mise en espace.
Ainsi, dans le large éventail des métiers liés à l’art, la figure du curateur est aujourd’hui incontournable, en cela qu’elle est devenue le catalyseur du dynamisme artistique contemporain qui envisage l’exposition comme un art en soi.
1] ARDENNE, Paul.-« Définir l’art contemporain » in Champs Culturels nº 23, septembre 2010.p.16.