Khaled Takreti, Toiles d’actualité
Khaled Takreti, Toiles d’Actualité
Vous êtes architecte de formation et avez travaillé en tant que tel durant 12 ans à la Direction des Musées et des Antiquités de Damas. Comment la peinture est-elle progressivement devenue votre principale activité ?
Je n’ai pas décidé d’être artiste et n’ai été formé académiquement que tardivement, à Paris. J’étais du coup considéré comme un peu à part à Damas par mes confrères. Pour être artiste selon eux il fallait nécessairement être passé par l’institut. Certains trouvaient que cette formation manquait pour que je sois considéré comme un membre de l’école syrienne – parce qu’on l’apprécie ou pas, il y a bien une scène syrienne.
En fait ce genre de considérations ne m’ont jamais arrêté. Je voulais juste exprimer mon histoire. Le dessin, la peinture me permettaient d’exprimer les choses que je n’arrivais pas à formuler et à partager autrement. Je suis exubérant en société mais très discret dans l’intimité.
Pourriez-vous évoquer quelques unes de ces histoires ?
Commençons par l’histoire de mon nom. Elle débute par une toute petite lettre, une voyelle. Je suis né Takriti mais les gens se trompaient tout le temps et m’appelaient “Takreti”. J’ai choisi d’adopter ce nom. Une banale erreur m’a finalement permis de me différencier, de marquer une rupture entre l’individu et l’artiste que je suis devenu.
Il y a aussi l’histoire de mon entrée en peinture. A 26 ans, j’apprends le décès de ma grand-mère. Elle était une figure repère pour moi et représentait l’idée de famille d’avantage que mon père ou ma mère. A sa mort, je me suis réfugié dans la peinture pour exprimer mon chagrin. Peindre cette femme me permettait de la rendre présente. Je la peignais vivante. Je dirais que c’est ainsi que je suis devenu ce que je suis.
Ces toiles de famille sont extrêmement prisées…
Oui, j’ai continuellement des commandes et en peins toujours. Pour beaucoup c’est cette série qui me caractérise en tant que Khaled Takreti.
Et puis il y a une autre histoire que tout le monde connait. En 2012, la guerre éclate en Syrie. Je ne parlerai pas politique mais je peux dire que c’est là que débute une nouvelle période pour moi en tant qu’individu et en tant qu’artiste. L’Histoire a bouleversé et révélé mon histoire personnelle. Je suis passé par un épisode de dépression pour lequel j’ai été suivi. C’est dans le cadre du traitement que j’ai notamment pris conscience que j’avais refoulé la mort de ma grand-mère par la peinture. Son deuil a donné naissance à un travail radicalement différent. Depuis mes œuvres tournent de moins en moins autour de moi mais d’avantage autour de la vie.
Je suis sûr qu’il y a une histoire derrière chaque artiste. Ca, c’est la mienne.
Avant 2012, à l’époque de votre installation à Paris, votre peinture avait déjà beaucoup changé…
Oui, bien sûr. En Syrie, les références artistiques étaient peu nombreuses et “classiques” : les impressionistes, les surréalistes, Picasso, etc. L’art chinois ou le Pop Art étaient par exemple à des années lumières de moi. J’avais voyagé et même vécu hors de Syrie mais comme tout le monde, je cherchais partout ce que je connaissais déjà.
A Paris j’ai découvert que l’on pouvait tout peindre. La peinture syrienne tournait systématiquement autour de personnages. Beaucoup de figuration donc mais en revanche peu d’animaux, pas de villes et pas de téléphones portables. En France je comprends que l’on peut tout peindre sans restriction. Je comprends aussi que l’art ne se limite pas à la peinture ou à la sculpture. Il peut être partout.
Je suis resté peintre malgré tout parce que je voulais défendre la toile. Teddy Tibi et Pascal Amel, fondateurs du magazine L’Art absolument ont d’ailleurs monté une exposition en 2011 à Paris à laquelle j’ai participé dans le but de faire la part belle à la peinture en tant qu’expression contemporaine. C’est important de comprendre que la peinture n’est pas moins contemporaine que la vidéo. Je pense dire des choses tout aussi actuelles dans ma peinture.
De quoi parlent vos œuvres ?
Ma peinture parle par exemple de consommation et s’amuse des stéréotypes que l’on nous impose : le physique ideal - femmes mannequins taille zéro ou garcons tablettes de chocolat…
Dans la toile “Bang, Bang, Bang…” (2014) je critique la manipulation politique. La technique à l’acrylique a des airs de photographie mais en fait tout est montage, leurre.
Dans la “Cigale et la Fourmi” (2014), je m’inspire de l’œuvre “Le Prophète” de Gibran Khalil Gibran. Pour lui, exercer la liberté c’est travailler. Dans ma toile, je transforme les animaux en personnages. La petite princesse qui s’occupe de son apparence est beaucoup plus petite que la femme qui travaille.
Mes toiles explorent toutes les formes de la liberté. Je peins pour me libérer et je peux faire n’importe quel tableau sans tabou. Je n’ai aucune contrainte, ni formelle ni thématique.
Votre peinture exerce-t-elle également une liberté politique ?
J’essaie de m’éloigner des sujets politiques par principe artistique. Je ne veux pas profiter des évéments politiques pour mettre la lumière sur moi. J’ai peint des condoléances mais jamais l’histoire de mon pays. J’en suis incapable. Pour peindre il faut jouer et je ne me permets pas de jouer avec ce genre de sujet. L’actualité politique syrienne est tellement grave.
Les phases de votre travail que vous décrivez revêtent des esthétiques très différentes. Comment sont-elles reçues du public dans leur ensemble ?
Je pense être actuellement dans une phase de transition et je sens que le public est divisé : ceux qui réclament l’ancien et ceux qui attendent plus du nouveau.
Quoi qu’il en soit il est aujourd’hui clair que mon travail a influencé la nouvelle génération d’artistes en Syrie et ça me fait très plaisir. Mes œuvres sont aujourd’hui montrées dans des événements et lieux de référence : Biennales d’Alexandrie, de Venise et de Lyon dans le cadre du Focus Galerie Regard Sud), Musée de Gwangi et ont fait l’objet d’acquisitions par le Musée de Wangui ou Mathaf au Qatar.
Leur prix aussi sont un bon indicateur de valeur..
Ce sont principalement les maisons de ventes aux enchères comme Christie’s ou Drouot qui ont fixé leur prix.