Interview with Laure D'Hauteville- Founder and Director, BEIRUT ART FAIR
Interview with Laure D'Hauteville- Founder and Director, BEIRUT ART FAIR
Française, vous avez eu l’initiative de la première foire d’art contemporain au Liban. Pourriez-vous nous faire part de votre motivation à inscrire vos actions dans la région et retracer les phases constitutives de ce projet ?
Le Liban est pour moi une terre d’adoption et l’art est une des valeurs prioritaires dans ma vie. Il crée des passerelles susceptibles d’installer un échange entre les cultures et permet de susciter une réflexion sur le monde dans lequel nous vivons.
En 1998, j’ai lancé une première foire à Beyrouth : « ARTUEL », toute première foire d’art moderne et contemporain de la région ME.NA.SA. Celle ci s’est développée jusqu’en 2005. Déjà, à l’époque, je sentais que les artistes de ces régions allaient avoir une large visibité.
Puis en 2007 et 2008, j’ai lancé avec l’équipe d’ART PARIS, la foire « artparis-abudhabi » aux Emirats, bien connue actuellement sous le nom d’Abudhabi Art Fair.
Lorsque j’ai créé la foire en 2010 à Beyrouth, l’art, ses acteurs et ses collectionneurs n’étaient pas une découverte pour moi, mais une réalité. Je me suis engagée à faire connaître cette scène artistique tout au long de mon parcours.
En 2012 nous avons décidé de changer le nom de notre foire afin de faire apparaître le nom de la ville où elle se déroule : Beyrouth. Non seulement parce qu'elle est le carrefour millénaire de toutes les civilisations mais parce qu'elle est synonyme de vitalité et d'effervescence.
Depuis la création de la foire, de nombreuses galeries se sont ouvertes à Beyrouth, des artistes sont revenus y installer leur atelier. A l’automne 2015, de nouvelles institutions artistiques vont ouvrir leurs portes. Des programmes de sensibilisation à l’art et la culture, des expositions dans les espaces publics sont en cours d’élaboration.
Quelle est l’identité de BEIRUT ART FAIR et quel est son positionnement par rapport aux autres foires de la région ?
BEIRUT ART FAIR fait pleinement partie de l’écosystème mondial du marché de l’art. Elle est considérée comme un point d’ancrage pour découvrir les artistes du Moyen–Orient et certains artistes de l'Asie du Sud-Est, stars ou artistes en devenir. Notre démarche d’ouverture à toutes les pratiques artistiques contemporaines est appréciée et prisée des professionnels.
Beyrouth est aujourd’hui entrée dans le classement des « destinations arty » et je suis convaincue que BEIRUT ART FAIR y a contribué, à sa manière.
Qu’est ce que “l’art ME.NA.SA.” associé à la foire ?
L’art ME.NA.SA. est composé de cultures contrastées, issues d’une histoire millénaire et d’un héritage riche de souvenirs. Il englobe les scènes artistiques qui se développent du Maroc à l’Indonésie. Ces liens entre le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie sont inscrits dans une histoire commune. Dans l’univers de la création actuelle, ces relations apparaissent avec encore plus d’évidence. L'on pourrait dire que les régions ME.NA.SA. forment le « sixième continent » de l’art contemporain.
Il n’existe pas un art commun entre le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et l'Asie du Sud Est. Les pratiques artistiques sont les mêmes à travers le monde. Les artistes du ME.NA.SA ne font pas exception, l’on y retrouve la même diversité. En revanche, il y a des liens, des approches, des réflexions communes, notamment à travers les sujets de société civile, la religion et parfois à travers certaines pratiques artistiques telle que la calligraphie.
Ces artistes font partie des plus grandes collections internationales comme celle de Charles Saatchi qui les a intégrés dans son département dédié au Moyen-Orient. Ils sont exposés dans les plus grands musées un peu partout dans le monde, dans les ventes publiques, à New York, à Londres ou à Dubaï où l’on assiste à une vague croissante d’enchères. De nouveaux sites internet voient le jour, comme le vôtre, et les représentent.
Depuis six ans, BEIRUT ART FAIR est la principale vitrine de la créativité ME.NA.SA. sur la scène artistique nationale et internationale. Elle est une source d’informations unique sur les artistes, les tendances, les galeries, les publications et les institutions qui contribuent à la rapidité de la montée en puissance de l’art dans ces régions.
Pourriez-vous nous citer quelques artistes emblématiques de l’art ME.NA.SA. ?
La liste est longue…Vous les connaissez, vous les représentez chez Artscoops ! Parmi ceux que nous exposons cette année à BEIRUT ART FAIR nous pourrions citer Jamil Kacha (Tajalliyat Art Gallery, Damas), Resmi Al Kafaji (Wadi Finan for Art, Amman), Marwa Najjar (QODE, Amman), Mehdi Meddaci (Galerie Odile Ouizeman, Paris), Mahi Binebine (Galerie Noir sur blanc, Marrakech), Farah Khelil et Dalila Dalleas Bouzar (Galerie Mamia Bretesche, Paris), Shadi Alzaqzouq (Artspace Hamra, Beyrouth), Paul Guiragossian (Emmagoss Galerie, Beyrouth), Chaouki Chamoun (Mark Hachem Gallery, Beyrouth), Gao Brothers (ifa gallery, Shanghai), Alfred Tarazi (Galerie Janine Rubeiz, Beyrouth).
Nous pourrions également mentionner les artistes représentés durant les éditions passées : Nabil Nahas, Ayman et Mohamad-Saïd Baalbaki, Nasser Al-Turki, Zoulikha Bouabdellah, Khaled Hafez, Simeen Farhat, Halida Boughriet, Marwan, ou encore Abdul Rahman Katanani.
Quels sont les critères qui président à la sélection des galeries ?
L'exigence de qualité est primordiale. Le choix de la diversité est également un critère important, ainsi que leur professionnalisme. Notre souhait est avant tout de pouvoir apporter au public (collectionneurs et amateurs de la région) un éventail étendu de la création moderne et contemporaine de nos régions.
BEIRUT ART FAIR est-elle une foire “lucrative” pour ces galeries ?
C’est aux galeries qu’il faudrait poser la question ! Je pourrais vous répondre via un constat : la plupart des galeries nous accompagnent depuis la création de la foire. Une vingtaine de galeries supplémentaires nous a rejoint cette année.
Les foires créent une stimulation chez les collectionneurs et elles déclenchent des vocations pour les jeunes visiteurs. Elles ont un effet moteur sur les ventes mais elles permettent également aux galeries et aux artistes d'élargir leur audience.
Je dirais même plus, je pense sincèrement que les foires ont ouvert le monde de l’art et l’ont rendu plus accessible à des millions de collectionneurs potentiels. Les foires sont des plates-formes privilégiées pour approcher et comprendre les règles du marché de l'art, ses mutations et ses tendances.
Pour vous donner une idée plus claire de ce phénomène : la moitié du chiffre d’affaires annuel des galeries provient de leur participation aux foires.
Et quel est le chiffre d’affaires global de BEIRUT ART FAIR ?
BEIRUT ART FAIR a démarré en 2010 avec 30 galeries exposant 30 artistes, 3500 visiteurs et un résultat de ventes s’élevant aux alentours de 800 000$.
Vos pronostics pour 2015 ?
En 2015, le salon compte 51 exposants - galeries, maisons d’édition et associations -, 300 artistes issus de 19 pays et de 30 nationalités, 1500 œuvres exposées et 24 000 visiteurs sont attendus. D’après les chiffres de 2014, nous misons sur un montant de ventes avoisinant les 4 millions de dollars - soit presque quatre fois plus que le montant de 2010.
Si ces chiffres semblent élevés pour une manifestation qui n’existe que depuis 6 ans, il est important de rappeler que BEIRUT ART FAIR a été immédiatement opérationnelle. Simultanément à la création de la foire, Beyrouth a connu un incroyable développement de l’art contemporain et de son marché, avec une augmentation du nombre des ventes aux enchères dans la région, d’ouvertures de nouvelles galeries et d’installations de nouveaux marchands.
Qui sont les acheteurs de la foire ?
Une de mes plus grandes joies est de constater que BEIRUT ART FAIR est désormais inscrite dans le calendrier international des manifestations artistiques et est aujourd’hui considérée, comme l’une des plus prestigieuses expositions d’art au Moyen-Orient. Parmi les 20000 visiteurs de l’année dernière, il y avait des collectionneurs venus du Qatar, du Koweït, d’Arabie Saoudite, d’Asie, d’Europe mais aussi des collectionneurs libanais installés dans le monde entier et venus pour l’occasion afin de soutenir la foire. Nous attendons cette année environ 70% de collectionneurs issus du ME.NA.SA et 30% d’Européens.
Beaucoup de collectionneurs - et plus particulièrement les jeunes - encouragent la foire et leurs artistes. BEIRUT ART FAIR s’inscrit dans la continuité de leur action et apporte la preuve que les collectionneurs sont très actifs au Liban. Cette manifestation ne pourrait exister sans eux, ni sans la contribution des entreprises mécènes qui ont souhaité soutenir notre démarche.
Quelles sont les œuvres les plus prisées ?
Si la photographie connaît un engouement constant, la peinture, tout autant que les installations attirent les collectionneurs. Le bilan 2014 montrait clairement la pluralité des choix effectués par les visiteurs et de leurs achats.
Quel est le prix de départ pour une œuvre ?
Les œuvres proposées à la vente vont de 500 à 500000$.
Pourriez-vous nous exposer les spécificités respectives des foires de Beyrouth et de Singapour que vous dirigez ?
Notre souhait est de donner le maximum d’ouverture à notre foire. C’est ce qui nous a conduit à exporter BEIRUT ART FAIR. La première étape a été Singapour. Les rencontres avec les collectionneurs et les curateurs asiatiques ont été fécondes.
Cette année, nous avons un partenariat avec la foire Contemporary Istanbul où nous présenterons une sélection d’artistes libanais dès novembre prochain. D’autres projets sont en cours de négociation et vont dans le sens d’une bien plus large ouverture.
A Beyrouth, tout comme à Singapour, nos foires gardent néanmoins cette spécificité qui est de donner autant d'importance aux transactions commerciales qu'aux découvertes culturelles. Nous créons chaque année un programme dit « non-profit » qui se renouvelle et qui ouvre le regard sur les nouveaux territoires de l'art à travers le monde. Le « cross-over » a toujours été une valeur forte dans la démarche et l’évolution des événements que j’organise depuis plusieurs années.
C’est ainsi que nous avons lancé des prix pour des jeunes créateurs dans les domaines de la photographie et du design. Nous donnons par ailleurs chaque année, carte blanche à des curateurs de premier plan, tels que Catherine David, Janine Maamari, Silke Schmickl ou Fabrice Bousteau…